⋆ dime si me echas de meno' aún

1993 naissance
Habituellement on naît et surtout, on meurt seul.e. Ce qui n'a pas été le cas de Diana, accompagnée depuis toujours par cette ombre qui emprunte chacun de ses pas. Ce frère benjamin de quelques minutes qui ne semble pas parvenir ou - tout simplement - pas vouloir sortir de la voie qu'emprunte ce double en qui il a toute confiance. Diana l'adore et le couvre de tout son amour, bien plus que tout autre, il est sa première âme-sœur.

1995 premières rencontres
Les gosses ont deux ans, trois maximum. Leurs familles se connaissent évidemment depuis bien longtemps. On ne les présente pas officiellement, ce n'est pas nécessaire, iels se fréquentent depuis leurs premières semaines. Mais pour la première fois, l'un d’elleux babille quelques mots à l'adresse d'un ou une autre. Et c'est ainsi qu'iels deviennent inséparables. Il y a les cousin.es Myers et puis les autres, trailer park kids légèrement crasseux et déjà abîmés.

1998 première rentrée
Elle a cinq ans. L'école ce n'était pas jusqu'à là une obligation, alors les Bolton ne se sont pas intéressés à ce qui représente déjà pour les ainé.e.s une inconvénience, au moins, a real pain in the ass pour la plupart, hormis l'ainée. L'école, ce sont de nouveaux territoires à explorer, à conquérir même, pour la bande du trailer park que l'on parachute là, un beau matin, avec pour seul point d'ancrage la mère Myers qui ne quitte pas des yeux une seule seconde ses deux derniers rejetons : elle ne quittera pas le parc attenant à l'école avant la fin de l'école et recommencera, une semaine ou deux durant. Jusqu'à ce que les gamins disent : stop it now mummy, ya embarrasin' us...

1998 premier amour
C'est sur sa chevelure blonde étincelante qu'elle pose les yeux pour la première fois. La gamine est bien habillée, elle est même apprêtée. Même les gosses des familles les plus riches - entendre les moins pauvres - du trailer park ne sont pas aussi bien habillés, le dimanche, lorsqu'ils se rendent à la messe. Les Bolton n'y vont pas, le bon Dieu, c'est bon pour les idiots que dit mémère Madeleine. Elle semble absorber les rayons du soleil, les réfléchir au centuple, elle éblouit toute la cour, Diana ne voit qu'elle. Évidemment, elle passe inaperçu aux yeux des gamins qui l'accompagnent, trop enjoués à l'idée de s'approprier les quelques structures de jeu du playground. Diana ne fait pas un peu, ni en avant, ni en arrière. Stop starrin', lui intiment Carrie et Sasha. Ses deux meilleures amies qui la saisissent par le coude et l'entraînent loin de l'apparition divine. Si Diana n'a jamais cru en Dieu, elle en est sûre, ce jour-là, elle a trouvé sa propre sainte aimée.

1999 premier vol
Elle a six ans. C'est un vol anodin. Une poignée de raisins dans ses mains d'enfant. Elle a faim. Elle ne meurt pas de faim. Mais les courses s'éternisent parce que les grands font les cons. Maman peste, Di en rajoute une couche mommy am stravin', what a true comedian she is... Bref, les raisins sont là, à portée de ses yeux et surtout de ses doigts. C'est un vol anodin, and it trully makes her heart go fast.

1999 - 2011 l'enchainement
Elle commence par voler tout ce qui l'intéresse : des accessoires pour ses longs cheveux bruns, des fruits gorgés de sucre, dont elle raffole, de petits objets dont elle fait cadeau à ses proches. Des bonbons, des bijoux fantaisie. Et puis tout et surtout n'importe quoi. Ça devient un jeu, de l'objet le plus cher à l'objet le plus gros, au plus farfelu, tout y passe. Elle se lance des défis. Elle n'en parle pas. Même chez elle, c'est honteux. Pas de voler, non, ça arrive. Chez elle, on obtient toujours ce que l'on convoite, surtout si d'autres vous le refusent. Non, ce qui est honteux, c'est de voler, autant, sans jamais s'arrêter. De la nourriture, mais pas du genre indispensable ; des vêtements, mais pas de ceux que l'on achète parce qu'on n'a plus que des chiffons à se mettre, des bougies, du maquillage. Elle se convainc elle-même qu'il n'y a rien de mal à cela. Foutu capitalisme. Elle vole pour offrir, pour stocker, au cas où. Il n'y a rien de mal à se protéger de ce qui pourrait advenir. Mais les innombrables paquets de Lays qui disparaissent des étagères des épiceries locales ne font qu'alimenter les soirées auxquelles elle s'invite régulièrement.

2010 décès de Georgie
Tout le monde s'y attendait. Il n'était plus que l'ombre de lui-même depuis quelques mois déjà. Mais la nouvelle de son hospitalisation sonne comme un avis de décès qui ne tarde pas à être publié dans le journal local. La ville entière pleure le départ de George Bolton. Diana ne comprend pas très bien, parce qu'il était avant tout son uncle Georgie. Celui qui lui avait appris à observer, à dénicher ce qu'on ne voit pas (...)

2011 graduation
Dix-huit ans. À peine. On se réjouit autour d'elle, partout les mêmes acclamations de joie et... de liberté ? Diana la cherche du regard, elle semble s'évanouir davantage dans la foule chaque minute, un peu plus, jusqu'à la dernière apparition de sa crinière dorée dans la masse informe d'adolescents gangrénés par un soudain vent émancipation.

2011 décès de Carissa
L'été est là. Elle s'est arrondie. Personne dans le quartier n'ose évoquer l'évidence des formes pleines de son ventre. Pourtant, chacun sait. Diana en tête, première confidente de cette nouvelle qui n'est pas bonne. Elle promet sa loyauté millénaire et voilà Carrie rassurée. L'accouchement est un cauchemar. Elle est seule. Les choses ne se passent pas comme prévu. Personne n'est là avec elle. Personne, ni Diana, ni Sasha ne lui dit au revoir. Personne n'en parle plus jamais, mais pour se remémorer de bon souvenir. Tout est allé si vite, tout est allé trop vite. Diana ne veut plus y penser. Mais depuis, elle ne cesse d'imaginer la scène, l'horreur, le sang et plus que tout, le désespoir de cette sœur, seule, dans la pièce froide à l'odeur de rouille. Elle tente de ne garder de Carrie que les belles images, l'ultime, celle de son ventre rebondi, de ses joues pleines, pour la première fois de leur vie, de son sourire rayonnant Can you believe it, imma'bout to be a mum'... She never quite did.

2011 naissance d’Alicia
She's got ya eyes. Elle murmure, à l'adresse du vide. C'est vrai, elle a ses sourciels aussi, et le creux de ces joues qu'elle n'a jamais vu pleines en seize années d'amitié. La gamine n'a pas la moindre idée du merdier dans lequel elle a poussé ses premiers cris. Le géniteur a foutu le camp, le contraire aurait été facile, bien trop évident. Elle s'appelle Alicia. ...

2014 adoption d'Alicia
La gamine traîne à la maison Bolton à chaque occasion qui se présente. Diana se propose chaque jour de la garder, les ivrognes Matthews ne refusent jamais. Elle monte un dossier. Sa sœur est avocate, droit des familles. Elle en sait un rayon. Alors Diana enchaîne : les rendez-vous médicaux que les grands-parents ratent immanquablement, les photographies de la gamine propre le soir, lorsqu'elle la ramène, sale, le matin, lorsqu'elle la récupère. Le sourire, toujours le soir, l'air de désespoir, toujours le matin. Finalement, l'ainée Bolton a un dossier bien épais à présenter. Diana vient d'obtenir un appartement suffisamment grand et équipé. Elle travaille et est correctement payée. Aucune mention n'est faite des larcins quotidiens, la garde le revient facilement. On ne pose pas la moindre question, on ne s'intéresse pas plus à la gamine qui semble en de bonnes mains, bien plus qu'entre celles de ses aïeux, bien mieux qu'entre celles des services sociaux. Une gosse de moins sur la conscience, c'est presque trop facile.

2016 premier cours de poterie
Sasha lui propose un soir, alors qu'elle a passé la journée à chouiner à l'idée de laisser Alicia en Kindergarten le lendemain. C'est qu'elles n'ont pas été séparées une seule fois depuis l'annonce de l'adoption. Même à Target, Diana trouve toujours un moyen de l'amener en douce. Oui bon, plus ou moins parce que la gamine est vite devenue la mascotte du magasin. Sasha dit : I heard they organazin' a pottery class ... it's free That's all she's heard. Elle accepte, pour se changer les idées. La soirée est agréable, Alicia est chez les Bolton avec ses cousin.e.s. Diana se prend au jeu, c'est facile, presque évident pour elle, quand la majorité de ses camarades de la soirée échouent misérablement. Elle suit chaque cours assidûment, obtient du prof une réduction drastique sur le coût d'adhésion au club et devient une membre récurrente des séances qui suivent. Depuis, elle n'a jamais arrêté.